Journal d'un serveur - chapitre un
Il était une fois un serveur
Chaque
jour, dans tous les pays du monde, des gens se rendent au restaurant.
Que ce soit un fast food, une petite auberge de village ou un
restaurant cinq étoiles, chaque jour apporte son lot de clients. Je
suis client. Vous êtes clients. Mais alors que vous commandez votre
homard accompagné de sa sauce aux airelles et votre hamburger, déjà
convaincu que ce repas est acquis, savez-vous ce qui se passe de
l’autre côté, de ceux qui vous servent ? Non ? Et bien lisez. Vous
aurez honte de vous.
Je suis serveur dans une crêperie
depuis maintenant quelques temps. L’établissement est connu et réputé
pour ses bonnes crêpes et le service, c’est une fierté pour ceux qui y
travaillent. On est plutôt une bonne équipe, on s’entend bien.
La
crêperie est plutôt grande, pour un restaurant qui se trouve dans un
simple bourg. On a une grande terrasse séparée en trois parties, dont
une est couverte, et deux salles dont une grande et une petite, ainsi
qu’un bar tout beau tout propre. Autant dire qu’on a une grande
capacité de réception. C’est pourquoi, sachant que nous effectuons un
service continu du midi jusqu’au soir et que le bar est ouvert le
matin, nous servons des crêpes en salle et en terrasse le midi,
seulement en terrasse l’après-midi, et enfin le soir en terrasse
couverte et en salle. On ne devrait pas avoir de problèmes franchement…
Et pourtant, chaque année, c’est la même chose. Oui, car vous, clients,
vous ne changez jamais.
Chroniques du Bonjour
Il
est midi, et je suis au bar, à regarder la pluie qui tombe par la baie
vitrée. L’humeur est morose, sans être au plus bas. La terrasse
couverte est presque pleine, et que dire de la salle. Moi je reste au
comptoir pour préparer les boissons et accueillir les clients.
Justement,
en voila quatre qui entrent. Ils ont de la chance, il me semble bien
qu’il nous reste de la place. Je les vois passer devant le comptoir,
juste sous mon nez, rangeant parapluies et cirés.
- Bonjour !
Ca
m’a presque échappé malgré moi. Le « Bonjour » franc et fort est un
réflexe naturel chez le serveur, tout comme le « Bonsoir ». Ce qui peut
d’ailleurs donner un « Bonsoir » lancé au beau milieu de la matinée. Ça
a le mérite de nous faire sourire.
Les clients ont tourné la tête vers moi. Le cerveau se dégrippe, la réflexion est engagée.
B-O-N-J-O-U-R.
Six lettres.
Aïe. Beaucoup, beaucoup trop de lettres ! Et seulement deux d’identiques.
Analyse des données.
Définition trouvée, illisible.
Echec critique.
Et les voila qui rentrent sur la terrasse couverte, sans un mot. Bon. Peut-être ne m’ont-ils pas entendu.
Un coupable est innocent jusqu’à temps qu’on ait prouvé sa culpabilité
Les
revoila dans le bar. Il doit faire trop froid pour eux, malgré le
chauffage. Ils se dirigent donc vers la porte de la salle, repassant
devant le comptoir.
- Bonjour !
Oui, dans une vie antérieure, le serveur fut perroquet.
A
nouveau ils tournent la tête. Pas de doute possible, ils me voient !
Ils m’entendent ! Ou alors ils sont sourds. Parce que pour la deuxième
fois, ils me snobent. Et entrent dans la salle. Avant de revenir. Leurs
yeux se plongent dans les miens, leurs lèvres alors immobiles se
mettent en mouvement.
- Nous voudrions une table pour quatre.
- Bonjour.
Oui
je ne réponds pas à leur question. Oui c’est la troisième fois que je
leur souhaite un bon jour. Oui, je suis courageux, je sais.
- Oui bonjour…
VICTOIRE !
- Nous voudrions une table pour quatre.
Me
dit le patriarche avec un petit air agacé. Car il ose. Alors, tout en
leur offrant mon plus beau sourire, je joins les mains et l’achève de
six mots.
- Ah désolé mais nous sommes complets.